Le Blog de Pierre-Alain GASSE

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Tag - nouvelle policière

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mercredi 22 décembre 2010

Le Fourgon - Nouvelle policière - Chapitre 4


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Des longueurs d'avance

Au commissariat, ce jeudi matin, c'est la routine habituelle : de la viande saoule en cellule de dégrisement, dans la cage, deux ou trois putes surprises à racoler du côté de la Gare et, dans mon bureau, un petit dealer ramassé à l'entrée de son lycée. Rien que du menu fretin. C'est moi qui suis de permanence et le Commissaire n'est pas encore arrivé. Comme dab' !

À neuf heures trente, l'une des lignes directes avec les établissements sensibles sous surveillance continue se met à clignoter. Moi, qui sirotais un café en laissant moisir mon client sur sa chaise, je jette un coup d'œil sur le voyant : Banque de France ! Allons bon ! Encore une alerte à la bombe. Depuis l'entrée en vigueur du plan Vigipirate, niveau rouge, ça n'arrête pas. Le clignotement s'accélère. Merde ! Un braquage ?Je vide mon café d'un trait, en me brûlant la langue au passage, et j'appuie sur deux boutons du standard téléphonique : une sonnerie stridente retentit dans le commissariat et bientôt le planton entre dans le bureau :

— Christelle, mettez-moi cet oiseau en cage et tout le monde sur le pont. On sort.

Dans les bureaux, chacun ouvre les tiroirs pour récupérer son arme et la mettre dans son holster. Je suis déjà dans le hall, portable à l'oreille, cherchant à joindre le directeur de la Banque de France. Je m'adresse à mes hommes :

— Alerte à la Banque de France. C'est tout ce qu'on sait pour l'instant. Trois équipes sur place : Sim et moi. Duvauchelle et Lamy. Poitrenaud et Samzun. Les autres en standby. Gilet pare-balles pour tout le monde.

Sa mutation à Rennes, après son exil lannionnais*, avait valu à la Briochine Bénédicte Plassard de retrouver à la P.J. rennaise, un collègue avec qui elle avait fait ses premières armes* : Simon Le Lagadec, surnommé Sim sans autre raison que la commodité.

Le Commissaire Dutertre n'avait pas tardé à comprendre qu'il fallait reformer une équipe qui avait jadis donné entière satisfaction à son collègue de promotion Le Puil, jusqu'à la mutation disciplinaire de Bénédicte dans le Trégor.

Et c'est ainsi que l'on avait vu renaître ce duo improbable d'une belle plante brune de près d'un mètre quatre-vingt en jean, T-shirt moulant et blouson de cuir, aux côtés d'un petit gros affublé d'un informe costard en velours côtelé, hiver comme été. Sans compter le bout de bois de réglisse que le bonhomme mâchonnait à longueur de journée pour tenter de se désintoxiquer de son paquet quotidien de gitanes maïs sans creuser davantage le trou abyssal de la Sécu.

Dans la Mégane du service, gyrophare bleu sur le toit et pare-soleil rabattu pour faire apparaître la mention "POLICE", Sim conduit pied au plancher, surfant sur la vague du trafic matinal encore dense à cette heure, à travers la ville de Rennes. Ça lui rappelle ses années de pilote de rallye. Comme quoi, rien ne se perd. Derrière, les autres tentent de suivre. Moi, accrochée de la main droite à la poignée de maintien, je téléphone de la gauche. Pas moyen de joindre la Banque de France. Ni le standard, ni le portable du Directeur. Ça sonne occupé de partout. Je m'apprête à laisser un message quand finalement, le dirlo décroche :

— Capitaine Plassard, Police Judiciaire. Nous avons reçu un code 3. On est en route. Que se passe-t-il ?
— C'est une guichetière qui a actionné l'alerte sur demande de deux convoyeurs de la Funds. Ils commençaient à charger des sacs de pièces. Leur collègue les attendait au volant du fourgon, moteur en marche. À leur premier voyage, plus de fourgon. Évanoui, volatilisé. Sans un bruit. Sans une détonation.
— Vous pensez à quoi ?
— Ou le chauffeur a déverrouillé une portière parce qu'il connaissait celui qui le lui a demandé (usurpation d'uniforme, complicité interne...) ou il s'est fait la malle tout seul avec son fourgon.
— Et...
— Et on est dans la merde, parce qu'ils venaient de charger onze millions d'euros avant les pièces.
— Waouh ! Mais le fourgon est traçable, non ?
— Le fourgon va être abandonné très rapidement.Mon téléphone clignote pour un double appel. — Bon, je vous rappelle, j'ai le Directeur de la Funds en ligne.
— Allô, oui ?
— Nous venons de localiser notre fourgon dans la ZUP Sud, à l'arrêt, rue Mathurin Méheut, en face du n° 35. Le GPS a été déconnecté, mais nous avons un mouchard traceur qui a parlé.
— Bien reçu. Nous y allons de suite.Je préviens par radio mes deux voitures suiveuses et elles modifient aussitôt leur itinéraire, pour arriver, moi par le haut de la rue, une autre par le bas et la dernière par une rue transversale. C'est un sens unique, mais on ne sait jamais.

J'ai fait taire les sirènes, enlever les gyrophares et relever les pare-soleil. Mais les hommes ont passé leur brassard de police et enfilé leur gilet pare-balles.

Les trois voitures stoppent en crabe autour du fourgon. Les hommes descendent et progressent, arme à la main, à l'abri des carrosseries des véhicules en stationnement.

Hélas, le fourgon est vide. Vide devant : pas de chauffeur. Vide derrière : porte déverrouillée et compartiment délesté des onze millions d'euros de billets neufs aux numéros non encore répertoriés. De rage, j'en donne un violent coup de pied dans un bas de caisse qui ne m'a rien fait.

— Putain ! Il nous a bien eus, ce petit con ! Bon, une équipe pour les constatations : Duvauchelle et Lamy. Vous sécurisez le périmètre et attendez les gars du labo. Les autres, on rentre.

  • Cf.Quand Mam Goz s'en mêle, 2008.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, 2010.

dimanche 19 décembre 2010

Le Fourgon - nouvelle policière - Chapitre 3


Denis joue la fille de l'air

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 Jos est déjà à son poste dans le compartiment arrière qui lui est réservé. Denis vérifie qu'il a ses badges en poche, déverrouille la portière conducteur du fourgon et embarque. Paul monte à ses côtés, puis verrouille la sienne. Denis fait de même.

La check-list se déroule sans encombre sur son écran de contrôle : la grille du centre fort coulisse sur son rail. Denis embraye. Il est huit heures quarante-cinq. À cette heure-là, avec la circulation, ça va leur prendre un petit quart d'heure pour se rendre sur place.

Paul surveille les rétroviseurs, Denis conduit en souplesse, attentif au moindre mouvement de tous les véhicules qui l'entourent. Il a déjà été braqué une fois. Ce serait bien le moment !

Neuf heures pile. Denis se gare sur l'emplacement réservé aux transport de fonds devant la succursale de la Banque de France, rue de la Visitation. Il déverrouille les portes du fourgon. Paul, pistolet-mitrailleur au poing, sécurise l'entrée, Jos va chercher onze paquets filmés de noir qu'il ramène sur un chariot de la Banque. En un rien de temps, ils sont entreposés dans le compartiment sécurisé qui est bouclé à double tour.

Denis rend compte au P.C de la première partie de leur mission. R.A.S. !

Le prochain arrêt se trouve de l'autre côté du pâté de maisons, dans une annexe de la B.F. rue Vivier. À la lecture du planning, Denis n'a pas compris pourquoi il n'avait pas été prévu de tout réceptionner au même endroit. Enfin, ce n'est plus son problème à présent. Tout ce qu'il sait, c'est qu'il y a encore six sacs de pièces à prendre.

Neuf heures quinze. Jos entre dans l'annexe. Là, il n'y a pas de chariot. Et les pièces, ça pèse un max. Paul appelle Jos en renfort, comme Denis l'avait prévu.

Les deux hommes disparaissent de sa vue. Le moteur du fourgon continue de tourner. Il a toujours en poche la clé du compartiment arrière. Paul n'a pas tiqué quand il l'a ouvert à sa place tout à l'heure.

Denis respire un bon coup, met son clignotant et démarre, direction la ZUP Sud. S'il a bien calculé, le voilà "dépositaire" de plus de onze millions d'euros. Mais concentré sur sa conduite, il s'interdit toute manifestation d'euphorie. La partie ne fait que commencer !

Il ne verra pas Paul et Jos, laisser tomber de stupeur leurs sacs de pièces sur le trottoir : Plus de fourgon, plus de Denis, plus de fric !

Oh, putain ! C'est quoi ce pastis ?

(à suivre)

jeudi 16 décembre 2010

Le Fourgon - nouvelle policière - Chapitre 2


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À l'embauche

Vestiaires des transporteurs, société de transport de fonds Funds Co, centre fort de Rennes.

— Salut Denis.
— Salut, Jos, salut, Paul, y'a quoi au planning ce matin ?
— La BF et le circuit habituel, itinéraire C, je crois. Briefing dans cinq minutes, a dit le boss. On est les derniers à partir.

Les trois hommes finissent de revêtir leur uniforme de travail, assez semblable à celui de la police, question forme et couleur. Mais, y'a l'inscription de la boîte dans le dos et la casquette cubaine en plus. Sans oublier le gilet pare-balles, depuis 2000 (merci M. Chevènement !).

Denis lace avec soin ses rangers. Il se campe en position de tireur debout pour vérifier sa stabilité. Impec. C'est super-important d'être bien dans ses godasses.

Les trois hommes se rendent au stand d'armement. Le préposé ouvre le coffre, sort et vérifie trois revolvers 9 mm MR 73 chambrés en .38 spécial, avec leurs munitions et 3 pistolets-mitrailleurs Micro Uzi et leurs chargeurs ; ils signent les bons de remise, ajustent leurs ceinturons. Chargent le barillet des revolvers des six balles réglementaires et vérifient la sécurité de leur arme avant de la ranger dans son étui. Ils placent également un chargeur de 20 cartouches dans les Uzi. Vérifient là aussi les mécanismes de sécurité.

Dans la salle de préparation, l'horloge digitale affiche 7:30. Au rapport !

Ils entrent dans le bureau du chef de centre. Un colonel en retraite, pas porté sur la rigolade. Pour un peu, faudrait faire le salut militaire et tout le toutim. Mais par chance, la norme imposée par la boîte, c'est position repos, jambes écartées, mains dans le dos.

Avec ses dix ans d'ancienneté, Denis est le plus chevronné du trio. Il est le chauffeur du fourgon. Il y a deux mois à peine que les deux autres font équipe avec lui. Jos sécurise le véhicule. Et Paul fait entrer et sortir les fonds. À quatre, ce serait mieux, mais pour ça, il faudrait qu'il aient de la route à faire, pas que de la ville. Comme si y'avait moins de risques, tu parles ! 

Les convoyeurs de fonds qui n'ont pas le droit de fumer dans l'exercice de leur mission, sont avec les flics les plus grands consommateurs de chewing-gum que Denis connaisse. Il faut bien distraire la peur d'une manière ou d'une autre ! Et y'a pas intérêt à arriver au boulot chargé. Sinon, c'est la porte illico. Normal. C'est pourquoi Denis s'est acheté une conduite. Eau gazeuse, jus de fruit et bière sans alcool. Mais dès qu'il aura palpé et sera en sécurité, il a bien l'intention de rattraper le temps perdu. "Cigarettes, whisky et petites pépées", comme disait cette chanson à la télé dans une émission rétro. À lui la belle vie !

(à suivre)

dimanche 12 décembre 2010

Le Fourgon - nouvelle policière - Chapitre 1


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Denis gamberge

"Denis Popovič" - né de parents serbes dans la Krajina - pour tout le monde ici est Denis Popovich, fils d'émigrés russes de la 3e génération, et on lui fiche la paix. C'est lors de son passage à la Légion Étrangère qu'il a pu faire ajouter ce h à la fin de son patronyme. Seuls son employeur et quelques amis connaissent ses véritables origines. Il ne s'en vante pas, car pour les gens tout ce qui vient de l'ex-Yougoslavie, c'est plus ou moins racaille et compagnie. Mais il enrage de ce mépris généralisé.

Ce matin-là, Denis se réveille plus tôt que prévu, malgré le somnifère léger pris la veille au soir. Les digits luminescents du radio-réveil marquent cinq heures. Sous le volet roulant incomplètement baissé, la lueur d'un gyrophare filtre. Sa couleur orangée le tranquillise. Ce ne sont pas les flics. Il écoute quelques instants les bruits familiers des éboueurs. Puis se tourne vers le mur, essayant de se rendormir pour une demi-heure encore.

Mais rien à faire.Il tend le bras à la recherche d'un corps chaud contre lequel se serrer, voire plus si affinités, mais se souvient aussitôt qu'il n'y a plus personne dans sa vie depuis quelque temps déjà. Il aurait peut-être dû appeler une fille. Pour le mental, c'eût été tout bon, mais pour la sécurité, cela laisse trop à redire. Il n'a voulu prendre aucun risque.

Côté imprévus, il a déjà été bien servi. Obligé d'aller se pointer chez les flics parce que sa bagnole avait été accidentée. Des petits cons qui s'étaient défoulés sur cette tire de riche qu'ils ne pouvaient voler ! Pneus crevés, carrosserie rayée, pare-brise enfoncé. Seulement, l'assurance, pour casquer, voulait un papier officiel. Pas moyen d'y couper. Du coup, toutes les caméras du commissariat ont pu le retapisser pendant une plombe au moins. De toute façon, avec son boulot, il est marron de ce côté-là, depuis le début. Alors, inutile de se monter le bourrichon avec ça. Plus facile à dire qu'à faire.

Cinq heures et demie. Ce matin, il embauche à 7. Il va être temps qu'il décanille du lit. Il a résilié ses abonnements depuis plusieurs jours, mais, comme en principe, il n'y a plus de coupure effective entre deux locations, il sait qu'il aura de l'eau chaude. Heureusement, parce que les douches froides, merci bien ! À la Légion, il a assez donné.

Cette nuit, il a rêvé en serbo-croate. Il était dans son village et se faisait engueuler par sa mère qui lui reprochait d'être encore rentré à pas d'heure. Ça faisait longtemps ! Sa mère ; après, sa femme ; sa fille même. Que des emmerdes avec les meufs ! Alors, maintenant, plus de fil à la patte. Denis veut être libre. Et pour être libre, faut être riche.

Eh bien, c'est pour aujourd'hui. Assez longtemps qu'il attend ça. Il a tout préparé. Minutieusement. Ça ne peut pas foirer ! Allez, debout !

(à suivre)

lundi 18 mai 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Épilogue


masques

Épilogue

L'interrogatoire de Natacha fut fructueux. En tant que femme toujours attentive au physique de toute rivale potentielle, elle sut donner une description précise de ses quatre collègues. Qui furent rapidement retrouvées : l'une parce qu'elle avait laissé son numéro de téléphone à la russe, et les trois autres par leur site Internet, selon la méthode utilisée par Bénédicte.

Bon gré, mal gré, elles racontèrent par le menu tout ce qui avait précédé la soirée et retrouvèrent en s'aidant l'une l'autre des lambeaux de mémoire de ce qui s'était ensuivi. L'assouvissement de fantasmes sexuels typiquement masculins par des hommes d'âge mûr, au sexe de dimensions bien supérieures à la moyenne et d'une puissance qui avait sans doute recours à la pharmacie. Le tout sous couvert d'un galimatias érotico-religieux auquel elles n'avaient rien compris. Elles confirmaient l'utilisation de masques qu'aucun des hommes n'avait quitté un seul moment.

Toutes professionnelles qu'elles étaient, elles confessaient s'être réveillées éreintées, bouche pâteuse et mémoire pleine de trous. Elles avaient bu, c'était sûr, mais enfin, d'ordinaire, cela ne leur faisait pas cet effet-là.

Les analyses sanguines confirmèrent la présence de GHB dans leurs veines à toutes. Il y avait donc eu contrainte, au sens de la loi française. Mais elles refusaient de porter plainte, en ce qui les concernait. C'étaient les aléas du métier, dirent-elles.

Les chauffeurs les avaient embarquées au petit matin, direction la capitale, leur disant qu'une d'entre elles avait choisi de rejoindre de la famille qu'elle avait sur place. Ce qu'elles avaient voulu croire, sans questionner davantage.

Un mandat d'arrêt international fut lancé contre le gourou de la secte, un français d'origine libanaise, que la police canadienne retrouva dans ses fichiers : il avait été expulsé du pays, deux ans plus tôt à la fois pour activités immobilières illicites et pour incitation au proxénétisme.

Difficile de donner son nom véritable : les enquêteurs tentent de démêler l'écheveau de ses plus de trente identités fictives en cinquante ans de vie. Dans la secte, il était le Grand Maître, dans la vie, on l'appelait Monsieur Paul, mais nul n'avait jamais su s'il s'agissait de son nom ou de son prénom.

À l'heure qu'il est, polices aux trousses, il court encore. 

©Pierre-Alain GASSE, mai 2009.

dimanche 17 mai 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre XIII


masques

XIII

Il eût été déraisonnable pour Bénédicte de monter à Paris interroger Natacha, en faisant fi de toutes les règles de procédure, une fois de plus. Elle ne le savait que trop. La mort dans l'âme, il lui fallait se résoudre à passer la main et reprendre ses vacances forcées.

Mais autant essayer de joindre l'agréable à l'imposé.

Plutôt que de transmettre directement son rapport au Commissaire, elle décida d'appeler un de ses co-équipiers de la veille. Celui qui lui avait glissé sa carte professionnelle en quittant la scène de crime. Alain Le Bouguec, lieutenant de police, Commissariat de L. B. Suivait un numéro d'appel direct.

— Allô, lieutenant ? Capitaine Plassard à l'appareil. Je ne vous dérange pas ?

Le Bouguec, plongé dans la lecture du "Canard Enchaîné", renversé dans son fauteuil avec les pieds croisés sur le bureau, rectifia machinalement la position.

— Non, pas du tout, capitaine. Je vous écoute.
— Bien. Voilà. J'ai réussi à localiser une des participantes de la petite sauterie de La Vigie, par son site Internet. En me faisant passer pour vous, j'ai pu prendre un rendez-vous pour demain soir, vingt heures, dans le hall de l'hôtel Waldorf Arc de Triomphe. Il ne vous reste plus qu'à aller la cueillir ou la faire cueillir par un collègue parisien pour interrogatoire. Par elle, on pourra peut-être préciser le déroulement de la soirée et affiner les portraits-robots des "Adorateurs de Priape".
— Sauf votre respect, ce n'est sans doute pas la figure qu'elles leur ont le mieux vu.
— Certes, mais là, nous manquons de fichier, voyez-vous.

La conversation prenait un tour qui n'était pas pour déplaire à Bénédicte, pas bégueule le moins du monde. Et lorsque quelqu'un lui plaisait, elle n'était pas du genre à attendre que l'autre prenne l'initiative. Aussi ajouta-t-elle :

— Verriez-vous un inconvénient à ce que nous poursuivions cette intéressante conversation dans un autre cadre, lieutenant ?

Il y eut comme un blanc à l'autre bout du fil. "Aurais-je été trop claire ?" se dit soudain Bénédicte.

— Où vous voulez, quand vous voulez, Bénédicte, entendit-elle enfin.

La voix trahissait l'émotion du changement de registre inopiné.

— Vingt heures, au Fort du Large, vous connaissez ?
— Maintenant, oui. Mais, les perquisitions seront-elles terminées ? Mon collègue y est encore.
— Il ne tient qu'à vous qu'elles le soient, non ? 
— D'accord. À tout à l'heure.

Bénédicte tira un signal d'alarme imaginaire en proférant un "yes !" retentissant. Puis, elle raccrocha pour rappeler immédiatement l'établissement de luxe. Elle entendit la même voix que quarante-huit heures plus tôt :

— Le Fort du Large, hôtel-restaurant quatre étoiles, Florine à votre service, que puis-je pour vous ?
— Bonsoir, serait-il possible de réserver une table pour deux, pour ce soir, vingt heures ?
— Pour l'instant, la police procède à des perquisitions dans les chambres, en raison d'une affaire louche dans les environs. Je ne sais pas encore si...
— Ne vous inquiétez pas. Je sais de bonne source que dans deux heures l'activité pourra reprendre normalement en ce qui concerne le Restaurant.
— Dans ce cas... C'est à quel nom, Madame ?
— Plassard, capitaine Plassard.
— Très bien. C'est noté. À tout à l'heure, cap... Madame.

Bénédicte sourit. Son grade, pourtant modeste, faisait encore impression sur beaucoup de gens, comme si être capitaine pour une femme était le summum auquel elle pouvait prétendre. Comme quoi, les mentalités devraient encore évoluer !

Car Bénédicte n'avait pas l'intention de s'arrêter là.

Mais ceci sera une autre histoire.

Laissons celle-ci s'achever sur un tête-à-tête, qui aurait pu être romantique, devant les derniers feux du couchant sur les eaux de la Presqu'île, si les protagonistes n'avaient écourté leur dîner dès les entrées, pressés qu'ils étaient d'aller goûter d'autres plaisirs, tous masques tombés. 

samedi 16 mai 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre XII


masques

XII

Après avoir transmis au Commissaire ces nouveaux éléments d'information, Bénédicte, rentrée chez elle, se connecta à nouveau à l'Internet et entreprit une recherche des escort girls qui travaillaient en solo sur Paris. Si les cinq filles avaient appartenu à un réseau, elles seraient arrivées ensemble dans une ou deux voitures, pensait-elle, mais pas dans cinq différentes. Elle pariait donc sur des indépendantes. Impossible, hélas, d'isoler les filles de région parisienne par leur numéro de téléphone. Tous les numéros fournis renvoyaient sur des portables ! Par chance, la décédée de Pors-Pin était brune. Bénédicte entra dans son moteur de recherche : "escort girl brune paris". Il y avait encore plus de cinq cents réponses ! 

Travail fastidieux. Surtout pour elle. Bénédicte constata avec consternation et un peu d'envie que ces filles empochaient en une nuit ce qu'elle gagnait en un mois. Pas étonnant dans ces conditions que, sans atteindre le niveau que l'activité connaissait dans les pays de l'Est en général et dans l'ex-Yougoslavie en particulier, son développement en France ait été exponentiel ces dernières années. Surtout par temps de chômage aggravé.

Bien entendu, chaque page d'accueil était accompagnée au minimum de photos de charme de l'hôtesse, Mais le visage n'était pas toujours la partie de son anatomie la mieux mise en valeur. Parfois même, le regard était flouté. 

Consciente du poids des fantasmes dans cette activité, elle consulta en priorité les sites dont le prénom de la propriétaire terminait par A. Natacha, Laura, Eva, Mara, Olga... Il n'y avait que l'embarras du choix. Et des prix. Beaucoup de prénoms supposés être de l'Est. Mais la photo de la décédée de Pors-Pin ne correspondait à aucune de celles qu'elle vit s'afficher sur son écran.

Alors, elle fit la sélection inverse. Tous les sites dont le prénom de la propriétaire ne terminait pas en A. Il en restait davantage qu'elle ne s'y attendait. Elle reprit son butinage, en se félicitant de ne pas avoir confié ce travail au fringant jeune inspecteur qu'elle avait vu tout à l'heure. Il n'aurait pu résister à tant de tentations ! 

C'est un prénom français des plus banals qui lui délivra une correspondance satisfaisante, au niveau du visage : Sylvie. Brune. Yeux verts.

Au vu d'une commission rogatoire, le fournisseur d'accès de ce site devrait délivrer aux enquêteurs l'identité réelle du propriétaire de la machine correspondant à l'IP enregistrée... si elle n'était pas fictive. Mais cela pouvait quand même prendre plusieurs jours.

Bénédicte était pressée. Elle décida de ruser. Les hypothèses étaient trop nombreuses pour être vérifiées (portable volé, détruit, éteint, déchargé...). Il fallait faire confiance à la chance : alors, un mouchoir sur la bouche, prenant une voix basse d'homme, elle appela le portable dont le numéro était affiché. Une sonnerie, deux sonneries, trois sonneries... une voix féminine à l'accent slave :

— Allô, oui, bonsoir, Natacha, à votre service. Que puis-je pour vous ?

Bénédicte eut un temps d'hésitation ; une des collègues de la morte avait dû récupérer son portable et donc sa clientèle. Bisness is bisness. Il fallait la jouer fine pour obtenir un rendez-vous sans se démasquer. Elle se racla la gorge et se lança dans l'improvisation :

— Bonsoir, je serai de passage à Paris, demain pour un salon à l'Espace Champerret et j'aurais aimé que vous m'accompagniez au dîner qui sera donné à son issue et me teniez compagnie jusqu'au lendemain matin. Êtes-vous libre ?
— Tout à fait. Vous connaissez mes tarifs ?
— J'ai visité votre site Internet ; il n'y a pas de changement ?
— Non.
— Alors, c'est d'accord. Rendez-vous à l'hôtel Waldorf Arc de Triomphe, à vingt heures, dans le hall. Je vous reconnaîtrai.
— Très bien. Je vous remercie. À demain, alors.

Ouf ! Elle prit une profonde inspiration. Elle avait donné les premiers noms qui lui étaient venus à l'esprit. Elle savait qu'il y avait au moins quatre hôtels Waldorf à Paris et pensait que celui de l'Arc de Triomphe n'était pas bien loin de la Porte Champerret. Un quatre étoiles, cela donnait tout de suite de la crédibilité !

vendredi 15 mai 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre XI


masques

XI

Bénédicte n'aurait pas dû avoir la primeur des résultats des analyses post-mortem pratiquées sur la décédée de Pors-Pin. Mais le médecin-légiste de ses débuts, le docteur Cyprien Lacordaire, terminait sa carrière au C.H.U. de Nantes, elle le savait. Elle se souvenait aussi fort bien de l'effet qu'elle produisait sur Lacordaire à chacune de ses apparitions dans son laboratoire et il lui suffit de réveiller chez lui ce souvenir, frustrant mais délicieux, pour l'amadouer une fois encore :

— Bon, vous voulez quoi, Bénédicte ? Vous savez que vous allez encore me mettre dans le pétrin, si ça s'ébruite.
— Docteur Lacordaire, il ne s'agit que d'une question d'heures et je suis associée à l'enquête. Je voudrais faire quelques vérifications sur le terrain avant mon départ. Je reprends mon boulot lundi. J'étais juste en week-end. Un pur hasard.
— Auquel j'ai du mal à croire, vous connaissant.
— C'est pourtant la stricte vérité. Alors, que pouvez-vous me dire sur les causes du décès ?
— La victime n'est pas morte noyée. Elle a été jetée à l'eau après. J'ai retrouvé dans l'organisme de l'alcool en bonne quantité, un peu de hasch et aussi du gamma-hydroxybutyrate.
— La drogue du violeur ?
— Le GHB, exactement.
— C'est la cause de la mort ?
— Avec l'alcool. Les effets du GHB et de l'alcool sont plus qu'additifs : ils agissent en synergie au niveau du principal neurotransmetteur inhibiteur du cerveau : le récepteur GABAA. La présence de l'un des composé augmente la fixation et donc l'effet de l'autre. Tout se passe comme s'il fallait moins de GHB pour obtenir les mêmes effets. Le récepteur GABAA étant impliqué dans le contrôle autonome des voies aériennes, la mort peut survenir par dépression respiratoire. D'autre part, la victime a également eu, et peut-être subi, toutes sortes de relations sexuelles récentes.
— Le contraire m'aurait beaucoup étonné. Poursuivez.

Lacordaire lui jeta un regard mi-suspicieux mi-courroucé.

— Le séjour dans l'eau a beaucoup endommagé le matériel génétique que nous avons pu récupérer.
— Bon. Et côté identité, on en est où ?
— Nulle part. Inconnue des services de police. En l'absence de papiers, on ne peut travailler qu'à partir de la photo et des empreintes digitales.

Bénédicte réfléchissait. Elle décida de le faire à haute voix pour Cyprien Lacordaire, qui était toujours de bon conseil, malgré son allure lunaire.

— Voilà ce que je sais à présent : hier un groupe de cinq escort girls de luxe est arrivé de Paris en compagnie d'autant d'hommes et de cinq chauffeurs dans cinq berlines haut de gamme avec vitre de séparation opaque. Les hommes devant. Les filles derrière. Les hommes ont réservé au Fort de l'Océan et les filles ont été logées à la Vigie, un ancien sémaphore tout proche de l'hôtel, qui présente la particularité d'être construit sur une ancienne batterie allemande. Hier soir, à vingt et une heures, a débuté dans une salle souterraine du sémaphore, une espèce d'orgie cultuelle d'une secte qui se ferait appeler "les Adorateurs de Priape". Apparemment, ses membres rendent un culte au phallus et pratiquent masturbation, fellation et autres pratiques sexuelles comme des rites religieux. Ils semblerait que leur implantation en France soit toute récente ; aussi manquent-ils encore d'adeptes féminines ; d'où, peut-être, le recrutement de professionnelles, qui, si j'en crois la présence de GHB dans les veines de la morte n'étaient peut-être pas au courant de toutes les implications de la cérémonie. Si leur consentement était vicié, il y avait déjà matière à poursuite. Mais, sans doute pour les raisons que vous venez d'évoquer, la "cérémonie" a mal tourné, une des filles a fait un arrêt respiratoire, on l'a dépouillée de toute trace identifiable et jetée à l'eau. Je suppose qu'à l'heure qu'il est les chambres du Fort de l'Océan sont vides, tout comme les sous-sols de la Vigie. L'enquête ne va pas être facile. J'ai un cliché des cinq hommes impliqués au premier degré, mais pris aux jumelles et ils portaient des masques de la commedia del arte. Comment élaborer des portraits-robots dans ces conditions ?

— On leur voit le menton, les oreilles et les cheveux ?
— ...Oui. 
— On peut tenter une première approche. Ça peut permettre d'éliminer à défaut de rendre possible une sélection.
— Ça va donner de drôles de portraits-robots ! Bon. OK. La secte serait originaire du Canada, de Montréal. Il va falloir mettre Interpol sur le coup. Docteur Lacordaire, vous gardez tout ça pour vous, je n'ai pas encore transmis mon rapport au Commissaire.
— D'accord, Bénédicte. Mais chapeau, pour un flic en week-end, vous êtes drôlement efficace. Qu'est-ce que ça doit être quand vous travaillez ?
— On fait dans l'humour, à présent, Docteur Lacordaire, c'est nouveau, ça ?
— Pas du tout, je suis un humoriste méconnu, voilà tout.

(à suivre)

jeudi 14 mai 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre X


masques

X

Matière à enquête, peut-être. Mais, en l'état des choses, sans doute pas d'activité délictuelle, si tous les participants étaient adultes et consentants.

Bénédicte hésitait : si elle appelait sa hiérarchie maintenant et mettait en branle la machine policière pour du simple renseignement, elle risquait de se faire taper sur les doigts une nouvelle fois. Elle manquait encore d'éléments.  

D'un autre côté, aller se fourrer seule dans la gueule du loup, pas question. Visiblement, les Adorateurs de Priape étaient sur leurs gardes. 

Wait and see. C'était ce qu'elle avait le plus en horreur. Mais, en l'occurrence, quoi faire d'autre ? "T'occuper de tes oignons", lui souffla la voix pleine de sarcasme de son ange gardien. "Toi, ta gueule !" lui répondit-elle. Le dialogue intérieur s'arrêta là.

Alors, en désespoir de cause et pour se changer les idées, elle décida d'aller tenter sa chance au Casino, tout proche.

Elle sourit en pensant qu'elle allait se mesurer à des bandits manchots. Que voulez-vous, on ne se refait pas !

Il n'y avait pas foule au Casino. Les néons clignotaient tristement. Bénédicte lorgna à peine sur l'écran géant du hall qui lui souhaitait la bienvenue et se dirigea vers les machines à sous, délaissant l'Indiana, la boîte de nuit attenante. Quelque chose la retenait de chercher une bonne fortune, ce soir. Et pourtant... Elle chassa de son esprit l'image des Adorateurs de Priape en communion.

Un demi-seau de pièces de cinquante centimes d'euro plus tard, elle avait éconduit un dragueur sur le retour, bu deux rhum-coca et fumé à l'extérieur une cigarette de sa composition. Pas moyen d'aligner trois symboles identiques. Aucune machine ne voulait cracher le morceau. Vers une heure du matin, elle déclara forfait.

Elle rentrait par la route de la Côte et arrivait en vue de Pors-Pin, lorsque, à la sortie d'un virage assez serré, le double pinceau de ses phares, alla balayer le sable de la plage contigüe. L'espace d'un instant, l'image d'un corps sur le sable s'imprima sur sa rétine. Elle pila et se gara de manière à éclairer la portion de plage où elle pensait avoir vu quelque chose, puis courut dans cette direction.

C'était un corps humain, couché sur le côté gauche, face contre terre. Cheveux bruns, courts. Elle le retourna. Une femme. Éclairant de sa torche le visage maculé de sable, elle reconnut alors l'une des cinq visiteuses de la Vigie. Son index glissa le long de l'ovale presque parfait du visage. Elle toucha la carotide. Silencieuse. Elle entreprit la respiration artificielle par un bouche-à-bouche. Tenta un massage cardiaque. Encore et encore. Rien. Trop tard. La vie était partie.

Aucun vêtement, aucun bijou. Ni tatouage, ni piercing. Ongles manucurés. Sexe épilé. Pas de trace de violence apparente. Elle remit le corps dans sa position initiale. Un bain de minuit en plein mois de novembre, c'était plus qu'improbable et le lieu de la découverte était presque à un kilomètre de la Vigie. À moins que le courant... Les cheveux étaient mouillés et le sable collait au corps, mais c'était le reflux, alors...

Bénédicte décida de clore les yeux verts de la morte, avant que la rigidité cadavérique ne rende impossible cet ultime geste d'humanité et abaissa les deux paupières d'un geste qu'elle répétait pour la dixième fois depuis le début de sa carrière.

BAQDPDM* ! jura en son for intérieur, l'ex-élève d'un lycée bon chic bon genre qu'elle avait été. Elle s'en voulait terriblement de n'être pas intervenue, à la Vigie, quelques heures plus tôt, en dépit des risques que cela comportait.

Elle regarda sa montre. Une heure trente du matin. Elle sortit son portable et composa le 17. 

Au bout de quelques minutes de parlementations, le fonctionnaire de permanence consentit à réveiller son commissaire, qui prit les choses en main, d'une voix encore ensommeillée :

— Allô, ici le Commissaire Principal Le Puil, je vous écoute.
— Salut, patron, désolée de vous réveiller à cette heure, mais je viens de découvrir un cadavre et sans doute une affaire des plus bizarres.
— Bénédicte Plassard ? Je reconnais votre voix. Qu'est-ce que vous foutez dans mes terres ? Toujours là où il ne faudrait pas, hein ?
— Officiellement, je suis en vacances dans la presqu'île, mais...
— Bon, ça va, venons-en aux faits.

Deux heures plus tard, une équipe de l'Institut médico-légal de Nantes avait opéré les relevés, effectué les prélèvements et pris les clichés nécessaires, tandis qu'un tandem d'inspecteurs du commissariat le plus proche avait été missionné par le Procureur et le Commissaire. Bénédicte, à force d'insistance, en souvenir de la période où elle était une jeune inspectrice sous ses ordres, avait obtenu de celui-ci la faveur d'être associée en renfort à l'équipe, à la condition expresse de ne prendre aucune initiative. 

Autant lui demander l'impossible.

Bénédicte regarda la housse blanche qu'on refermait sur le brancard de l'IML. Elle songea à cette jeune vie tronquée et s'éloigna vers sa voiture, une boule au ventre. Avant de pouvoir rentrer, il lui fallait encore fournir à ses équipiers d'un jour les premiers éléments en sa possession pour déclencher les perquisitions au Fort du Large et à la Vigie.
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  • sigle euphémistique pour suppléer à la formule grossière "bordel à queue de putain de merde !"

mardi 12 mai 2009

Bénédicte et les Adorateurs de Priape - Chapitre IX


masques
IX

Toujours allongée sur le toit du blockhaus, Bénédicte reposa son Nagra RCX-220 sur le couvercle de la bouche d'aération et arrêta l'enregistrement. Elle tenta de résumer ce qu'elle avait entendu : plusieurs hommes s'apprêtaient à faire subir les derniers outrages, comme on disait dans les ouvrages bien-pensants, à plusieurs femmes dans le cadre d'une cérémonie cultuelle d'une espèce de secte qui pourrait bien s'appeler "les Adorateurs de Priape". Ce qu'elle n'avait pas réussi à déterminer, car la scène s'était rapidement poursuivie sans autres paroles que des bruits étouffés divers, c'était si les femmes en question étaient consentantes ou non. Restait aussi à savoir si elles étaient majeures. Et d'abord, c'était qui ce Priape ?

Elle avait besoin d'aide extérieure sur tous ces points. Il fallait rentrer d'urgence. Non sans inspecter rapidement les abords de la villa. Mais elle dut faire bientôt marche arrière, car deux ombres se détachaient sur la clarté lunaire qui tombait sur la terrasse.

Dès son retour au logis, Bénédicte se connecta à l'Internet pour opérer plusieurs recherches. Elle avait jeté sur un post-it plusieurs termes ou expressions : "Priape, Adorateurs de Priape, sectes".

Priape.

Bénédicte apprit qu'il s'agissait d'un dieu grec de la fertilité, protecteur des jardins et des troupeaux dont l'attribut était un énorme pénis toujours en érection. Les Romains l'avaient ensuite fait leur et même irrévérencieusement représenté sur une fresque de Pompéi en train de peser avec une balance l'énorme engin dont il était encombré.

Adorateurs de Priape.

Cette recherche la mena tout droit aux 48O pages de l'ouvrage de Jacques-Antoine Dulaure, intitulé : "Des divinités régénératrices ou du culte du phallus chez les Anciens et les Modernes", publié en 1805 et depuis peu numérisé par Woogle. Bénédicte parcourut les têtes de chapitre. L'auteur passait en revue continents et pays pour y recenser les formes anciennes et modernes de ce culte ainsi que ses déviances. 

À lire à tête reposée, se dit-elle.

Sectes.

Bénédicte tomba rapidement sur le rapport parlementaire n° 2468 de 1995, intitulé "liste des sectes", mais elle eut beau parcourir les près de deux cents noms qu'elle contenait, aucune trace des "Adorateurs de Priape".

Elle se rendit sur le site de la MIVILUDES (Mission Interministérielle de Vigilance et de lutte contre les dérives à caractère sectaire) et parcourut les rapports les plus récents. Rien non plus.

Elle entra à nouveau sa requête, mais sans les guillemets premiers.

Et là, surprise, sur un blog, un titre attira son attention : Les Adorateurs des Phallus de Priape. Bingo, j'y suis, se dit-elle. 

Elle lut : "Cette secte, est entièrement dévouée au culte du Phallus, à ses élixirs et à ses représentations. Elle s'adresse aux fétichistes du Phallus, à ceux qui ont un intérêt pour la soumission, à ceux dont la masturbation est la pratique sexuelle favorite, enfin à ceux qui désirent unir sexe et religion. Cette secte offre des rencontres dites « Messes », où la symbolique phallique et religieuse sont intimement liées. La sexualité y est omniprésente sans tomber dans l'orgie. Les Messes sont des moments de prière (masturbation) et de communion (fellation) visant à canaliser l'énergie sexuelle. La masturbation est notre façon de prier et la fellation à genoux devant le Phallus est notre manière de communier. L'érection représente l'état de grâce et l'âme est située au fond de la gorge, permettant d'être en contact avec Priape lors de la communion et d'être purifié par le Saint-Sperme. 

Les fidèles vénèrent aussi les représentations phalliques, cierges, godes, photos. Ils ont un langage et des symboles communs souvent empruntés à l'Église Catholique, simplement parce qu'ils ont un dénominateur commun et ce n'est jamais fait dans un esprit de sacrilège ou de mépris. Chaque fidèle doit accepter sa condition de soumis aux Phallus de Priape et accepter de porter, lors des messes, des signes de cette soumission : collier, bracelet... Les messes sont des moments de concentration d'énergie sexuelle afin de s'élever spirituellement. Durant les messes, les fidèles ne sont pas nus, mais portent une chasuble trouée, permettant de n'offrir en adoration que leur phallus. Le respect et la solidarité sont fortement valorisés. Pour être membre, il vous faudra donner un profil détaillé et bien justifier de votre motivation en plusieurs lignes. Le siège de la société se trouve à Montréal. "

Tabarnak !

Du Canada, ils auraient donc essaimé jusqu'en France. Bénédicte, subitement, visualisa la scène qu'elle avait enregistrée quelques minutes plus tôt. Et cela lui fit quelque chose. "Merde, ils me feraient mouiller, ces cons-là !"

Elle tenta de se concentrer sur l'émetteur du post, mais il était signé d'un pseudonyme, bien entendu.

Elle chercha si d'autres messages du même pseudo existaient sur la Toile, en vain. Il fallait s'y attendre. Pour propager ce genre de propos, qui, selon les pays, pouvait tomber sous le coup de la législation en vigueur, mieux valait utiliser un écran, changer souvent de blog, d'hébergeur, de pseudo, de machine, pour brouiller les pistes.

Elle chercha encore un long moment, sans rien rencontrer d'autre que des commentaires sur le culte du phallus dans l'Antiquité. Enfin, alors qu'elle n'y croyait plus, elle dénicha un groupe récemment créé sur Wahoo. Hélas, il comprenait en tout et pour tout... un membre, son fondateur. Cependant, la présentation précisait qu'un blog antérieur avait été fermé. Le détail retint son attention. Elle enregistra l'adresse, pour revenir y faire un tour un peu plus tard.

Si le mystère s'épaississait, Bénédicte était à présent convaincue qu'il y avait matière à enquête.

Les évènements allaient rapidement lui prouver qu'elle avait raison.

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